Solitude Nocturne

Wolf faisait le tour de son territoire dans la forêt quand une odeur inhabituelle vînt à ses narines. Il se mit à renifler avec plus d'insistance, cet évènement inhabituel le poussa à quitter son domaine pour ce mettre en quête de la source de cette odeur.

A pas de loup, il se frailla un chemin au travers des buissons. Le mutant préférait être discrêt puisqu'il ne connaissait pas la nature de ce qu'il allait découvrir mais l'idée de faire une nouvelle découverte commençait également à attiser son excitation. En chemin, il se frottait à des plantes odorantes et il couvrait son corps de boue afin de ce camoufler et de dissimuler sa propre odeur.

Quand l'odeur se fit vraiment forte, il redoubla de prudence, s'évertuant à se déplacer sans bruit. L'homme loup fouilla la zone avec attention mais il mit un certain temps à lever la tête et à inspecter les branches des arbres. Il vit alors une jeune femme assise sur une branche, une humaine pour ce qu'il pouvait en voir mais il y avait quelque chose d'autre, quelque chose de plus. Il se tapit donc dans un buisson et commença à observer la jeune femme, la fixant de ses yeux jaunes, il voulait voir ce qu'elle allait faire, peut être entendre sa voix, savoir si elle était un prédateur ou une proie, il respirait lentement, immobile mais prêt à réagir.

Quelque chose avait changé. Inexplicablement, quelque chose avait changé dans cet environnement. Antarès fronça les sourcils et préféra rester immobile. Que se passait-il ? Pourquoi avait-elle l'impression de ne plus être... seule ?

Elle laissa son esprit chercher celui de la nature, celui avec lequel elle avait une véritable affinité. Quand elle le trouva, elle laissa glisser son propre esprit dans chaque parcelle de la flore environnante, passant de brin d'herbe à une fleur, de fleur en arbre, cherchant ce qui avait changé. Ce fut en passant dans l'esprit d'un petit bouleau qu'elle perçut la différence. Une présence qui n'avait rien de végétal. Une présence animale. Peut-être aussi humaine. Elle refit remonter son esprit jusqu'à elle et rouvrit les yeux. Lentement, elle se tourna dans la direction dans laquelle elle avait senti cette présence.

Deux yeux jaunes l'observaient, tapis dans l'ombre. Si elle avait été émotive, Antarès ne doutait pas une seule seconde que cette vision lui aurait tant fait peur qu'elle se serait figée sur place avant de tomber en tétanie et, au final, s'écraser sur le sol. Cependant, elle était rôdée à ce genre d'exercice et était de nature difficilement impressionable. Elle se retourna, se mit à califourchon, et observa l'endroit où elle devinait la présence.

" Tu aimes jouer à cache cache ? "

Wolf fut surpris d'être repéré avec tant de facilité et en resta une seconde interdit puis il fit un pas en avant pour se dévoiler. Il resta à quatres pattes à observer Antarès en penchant la tête sur le côté d'un air interrogateur, sa queue se balançait maintenant de droite à gauche et ses oreilles pointues étaient dressées.

Il n'était pas sûr d'avoir compris la question de la jeune femme, visiblement elle lui demandait s'il aimait se cacher... Cela voulait il dire qu'elle se considérait comme une prédatrice par rapport à lui ou au contraire comme une proie maline, difficile à saisir ? Le mutant ne comprenait pas l'innocence de la vraie question car il était aveuglé par son instinct animal et que ses notions de langage humain étaient devenues très floues avec les années et la solitude.

Il fit non de la tête pour répondre à la question.

L'homme loup voulu rejoindre la jeune mutante. Il observa autour de lui un moment puis il fit un premier saut contre un arbre. Appuyé contre le tronc du chène, il contracta les muscles de ses jambes et d'une détente puissante, il alla rebondir sur un autre arbre et finalement, en quelques bonds dignes d'un film de ninjas, il atterit sur la branche où se tenait Antarès en ne laissant que de très légères éraflures là où il avait pris ses impulsions. Là, il se dressa de toute sa hauteur et bomba le torse, son visage affichait une sorte de sourire bestial et sa babine, déformée d'avoir trop souvent mordu, laissait échapper un filet de bave. Il était fier de sa prestation mais rien dans son attitude ou son regard ne montrait une quelconque aggressivité.

Antarès arqua un sourcil lorsque Wolf se dressa devant elle, sur la branche qu'elle occupait, seule précédemment. Durant quelques instants, son regard le détailla des pieds à la tête. Il était peu courant de faire face à une telle créature. Les oreilles pointues, les yeux jaunes, les crocs acérés, le pelage et la queue, les griffes à la place des ongles, tout ça laissait à penser que c'était un animal. Plus particulièrement un loup. Mais il se tenait debout, il avait la morphologie d'un humain.

° Un mutant... Une expérience ratée... ° pensa-t-elle.

Elle s'assit à califourchon sur la branche, laissant Wolf la dominer. Essayait-il d'être effrayant, peut-être, en tout cas, elle n'était pas effrayée par lui. Au contraire, elle était particulièrement détendue face à une telle créature...Un sourire flotta sur ses lèvres.

" Tu sais qui tu es ? "

Wolf reprit sa position de quadrupède et son visage marqua immédiatement son incompréhension totale face à cette nouvelle question. En effet, le concept d'identité lui était parfaitement inconnu, aussi loin qu'il s'en souvienne, il avait toujours vécu seul, il n'était que lui, la bête des bois. Il pensa alors qu'elle lui demandait peut être son nom alors l'hybride posa sa main sur sa propre gorge et commença à la masser. Quand il eut finit, il posa sa main sur sa poitrine et tapota sur son coeur plusieurs fois.

" Woo... Wooolf... Gang... "

Il avait articulé à grand peine, sa réponse ressemblait à un mélange improbable entre une voix humaine et un grognement de loup et cela lui avait visiblement demandé un gros effort. Le mutant toussa un peu en se grattant la gorge puis il se rapprocha doucement d'Antarès, posant d'abord ses mains un "pas" en avant puis ramenant ses pieds jusqu'à être à quatres pattes juste devant elle. Là, il la pointa du doigt, allant jusqu'à toucher sa poitrine. Son geste était cependant sans équivoque, puis il pencha une nouvelle fois la tête d'un air interrogateur.

" Tooiiiii...? "

L'homme loup détailla à son tour la jeune femme, elle ressemblait aux quelques habitantes de la ville qu'il avait pu croiser les rares fois où il avait du s'y rendre pour faire les poubelles mais il savait qu'elle avait quelque chose de plus, quelque chose qu'il ne pouvait pas voir mais qui était là, en elle.

Bizarrement, cette créature éveillait la curiosité et l'intérêt d'Antarès. Elle le regarda faire, elle le regarda s'avancer vers, elle aperçut la lueur d'incompréhension dans le regard jaune de la créature après qu'elle eut posé cette simple questions, la question à laquelle il avait si durement répondu. Sa voix, sa difficulté à parler laissait supposer qu'il était seul, qu'il n'avait jamais vraiment parlé. Depuis combien de temps il était dans cette forêt, Antarès l'ignorait. Tout ce qu'elle savait à partir de maintenant, c'était que ce Wolf avait été humain, qu'il avait appris un jour à parler mais que, comme chaque mutant qui a un jour révélé accidentellement son pouvoir, il a été purement et simplement rejeté. Même si Wolf laissait penser qu'il n'était qu'une expérience ratée des humains rejetée comme une vieille chaussette, quelque chose dans le comportement de cette créature montrait à Antarès qu'il n'avait jamais vu un labo de sa vie. Il ne savait pas qui il était : il a été abandonné jeune.

" Tu t'arraches la gorge pour parler et pourtant, tu comprends ce que je te dis. Ne penses tu pas que cela est contradictoire, Wolfgang ? "

Sa voix était calme et posée, ses yeux inexpressifs. Elle se mit à pianoter sur l'écorce dure de la branche. Puis elle se désigna.

" L'Etoile du Scorpion. "

Puis elle tapota la branche en face d'elle.

" Assieds-toi. Je pense qu'un peu de compagnie ne te fera pas de mal, après tant de temps seul dans cette forêt. Cela te fait-il mal, de parler ? "

Wolf s'assit à côté d'Antarès puis il fit un signe de la tête pour lui répondre qu'en effet, parler était pour lui une épreuve douloureuse. Il avança son visage vers elle en humant son odeur et une fois son visage tout près de celui de la jeune femme, il entrouvrit la bouche et lui lécha doucement la joue du bout de la langue. Il avait les yeux dans le vague, faisait de petits bruits avec la bouche et finalement il sourit, il semblait que le "goût" de la mutante lui plaisait.

L'homme loup, à présent complètement détendu, commençait à balancer ses jambes dans le vide comme un petit enfant. Mais en y regardant de plus près, ses muscles, ses proportions, son appareil génital, il était évident qu'il était adulte et en bonne santé, un peu sous alimenté peut être.

l'hybride aurait voulu pouvoir engager la conversation mais s'il comprenait correctement, il était incapable de construire une phrase. Il eut une idée, il pointa les étoiles du doigt avant de la désigner elle. Cela voulait dire en gros :

° Regarde comme les étoiles sont belles, un peu comme toi. °

Il avait compris qu'elle s'appelait comme une étoile alors il essaya ça comme début de conversation ou plutôt, de communication.

Antarès le laissa faire ; elle le laissa s'approcher d'elle, elle le laissa passer le bout de sa langue sur sa joue. Le meilleur moyen d'apprivoiser un animal solitaire était de ne pas faire de mouvement brusque, de le laisser prendre confiance. De toute manière, Antarès n'avait aucune envie de le faire fuir. Sans qu'elle ne comprenne vraiment pourquoi, elle ressentait comme de l'affection pour Wolfgang. Il ressemblait à un animal blessé. C'était ça, qui la séduisait, pensa-t-elle. Il ressemblait à un animal blessé, il ressemblait à un animal.

Elle leva une main et, lentement, l'approcha du visage de Wolf. Elle prit son temps, histoire que le mutant en face d'elle se dérobe si jamais il ne désirait pas de ce contact, mais il ne bougea pas. Elle posa sa main délicatement sur la joue de son vis-à-vis, puis pencha la tête sur le côté.

Elle retira sa main et leva le nez au ciel.

" Les étoiles... Moi. Tu as sans doute compris que mon nom était celle d'une étoile. Antarès est le nom de la plus brillante étoile de la constellation du Scorpion. Tiens, regarde. Nous sommes en début novembre, c'est cette constellation du zodiaque qui brille jusqu'au 22 novembre. "

Elle leva la main et désigna d'un ongle long et manucuré une brillante étoile que l'on distinguait par l'un des trous dans le feuillage dense qui les surplombait.

" C'est celle-là. Antarès. "

Elle rabaissa son attention sur Wolgang, qui avait toujours le nez en l'air.

" Peut-être voulais-tu dire autre chose par tes gestes, Wolf. Il est clair que nous allons avoir du mal à communiquer, j'ai beau être perspicace... Peut-être que j'ai une solution. Je ne cherche pas à t'empoisonner, crois-moi, et je connais assez bien la nature pour tenter de chercher une plante qui soulagera la douleur de tes cordes vocales lorsque tu parleras. Tu es d'accord pour me faire confiance ? "

Wolf écouta avec attention Antarès lui donner un cours d'astronomie, bien sur il ne comprenait pas tout mais sa voix était douce et hypnotique pour lui qui n'avait pas eu une conversation depuis plus de 20 ans.

Quand elle lui caressa le visage, il ressentit d'abord comme une décharge électrique lui parcourir le corps, peu après une douce chaleur se fit sentir, d'abord dans son ventre puis elle se répendit dans tout son corps. L'homme loup alla chercher la main de la jeune femme jusqu'à ce qu'elle s'arrête pour lui parler sérieusement.

Chercher des plante pour soigner sa gorge, pour qu'il puisse parler... Pourquoi pas après tout, ça serait un premier pas. Il acquiessa donc de la tête mais avant qu'elle ne commence à descendre, il la retînt par le bras et pris quelques temps pour, à son tour, lui caresser le visage avec le bout des doigts. L'hybride ne voulait que lui rendre un peu de la douceur qu'elle venait de lui donner mais ses gestes étaient bien plus maladroits et hésitants et hélas il finit par la griffer légèrement sous l'oreille. Il retira hativement sa main puis il la regarda timidement, le visage mortifié par la culpabilité avant de baisser les yeux. Il avait terriblement honte de lui, il ne voulait pas lui faire de mal, loin de là, il espérait qu'elle lui pardonnerait sa maladresse et il attendait, anxieux, une réaction.

La légère brûlure de la griffure de Wolf ne lui fit pas plus d'effet que si un papillon s'était posé sur son visage. Elle porta un doigt à la blessure et constata qu'elle saignait ; elle frotta son index ensanglanté contre son pouce pensivement puis porta son doigt vers la longue cicatrice qui lui barrait l'oeil droit. Elle la traça du doigt en le regardant dans les yeux.

" Ce n'est pas une aussi petit écorchure qui va me faire peur, tu sais. "

Ce n'était qu'une maladresse, comme les maladresses d'Artémis et Jacinthe, son frère et sa soeur, quand ils étaient petits. Elle avait en face d'elle un animal blessé qui n'avait jamais connu quelqu'un qui lui apporte ne serait-ce qu'un peu de réconfort en s'intéressant à lui. Elle ressentait la peur qu'il avait de la voir fuir, de le laisser encore seul. Elle se pencha et lui prit la main.

" Reste tranquille. Je te promet que je vais revenir. "

Avant qu'elle ne descende, elle porta deux doigts à sa bouche et siffla. Quelques seconde plus tard, une galopade étouffée brisa le silence qui s'était installé entre eux et Antarès baissa le regard. Au pied de l'arbre se tenait la silhouette d'Elixidrine, son cheval, qui levait le nez vers elle en attendant qu'elle descende le voir. De son dos s'envola un oiseau de proie particulièrement grand qui alla se poser tranquillement sur le bras tendu d'Antarès. A la lueur d'un rai de lune, le bec argenté de Zarcan, l'aigle royal, brilla. Antarès reporta son attention sur Wolf.

" Je vais descendre et ils vont m'aider à trouver la plante. Reste là, d'accord ? "

Elle n'attendit pas son consentement pour descendre d'un saut souple juste à côté d'Elixidrine. Après une caresse rapide sur le chanfrein de l'animal, elle grimpa souplement sur son dos ; Zarcan se posa délicatement sur son épaule. Sans aucun ordre vocal, le cheval s'enfonça dans les ténèbres profondes de la forêt.

Wolf fut rassuré de voir Antarès toujours prête à rester avec lui malgré sa maladresse, il lécha sa griffe ensanglantée et le goût du sang le calma encore d'avantage. Il l'observa alors appeler son cheval et son aigle, elle les controlait avec facilité, l'homme loup en était sûr à présent, à sa manière la jeune femme était une redoutable prédatrice.

Comme la mutante le lui demanda, l'homme loup l'attendit tranquillement quoiqu'un peu inquiet. Il se contenta juste de descendre de l'arbre et de faire les cents pas au pied du chêne puis il vit une grosse pierre, il regarda alors sa main gauche, la main qui venait de blesser Antarès. Pris d'un soudain accès de rage, il frappa la pierre de toutes ses forces et la pulvérisa du premier coup. Mais il frappait et frappait encore, envahit par sa haine de lui même, par la haine de cette existance absurde. Quand sa crise fut fini, il avait creusé un trou de presque 50 centimètres à coup de poing et sa main était en sang.

Il se laissa tomber contre le tronc de l'arbre en respirant bruyamment et recommença à attendre, sans bouger.

Dans l'ombre d'un vieil arbre, juchée sur le dos de son cheval silencieux, Antarès l'avait observé détruire ce rocher comme s'il s'était agi d'une personne dont il souhaitait plus qu'autre chose la mort. Une personne haïe au plus profond de son être. Le fait qu'il détruisit ce rocher avec la main qui l'avait blessée n'avait pas non plus échappé à l'Etoile du Scorpion. Gratouillant pensivement le garot d'Elixidrine, elle resta dans l'ombre le temps que Wolf se calme et se mette à l'attendre sagement. Malgré qu'il lui aspirât une certaine sympathie et affection pour son côté animal, son côté humain la forçait à se méfier de lui.

Elixidrine fit deux pas et apparu dans un rayon blafard de la lune. Le craquement d'une branche morte annonça sa présence. Antarès observa alors le mutant qu'elle avait en face d'elle, une aura glaciale l'entourant. Elixidrine renâcla et frappa violemment du sabot sur le sol en soufflant bruyamment ; Zarcan poussa un cri perçant en déployant ses ailes d'un air menaçant. Antarès calma son regard du caresse sur l'encolure et Zarcan se calma seul, puis s'envola. Elle glissa à terre et s'approcha du mutant ; Zarcan vint lui déposer les herbes qu'il avait garder dans ses serres dans la main de l'Etoile du Scorpion. Elle s'accroupit en face de Wolf.

" Je les ai trouvées. "

Elle s'assit face à lui et fit signe et Zarcan, qui partit dans la pénombre sans protestations. Antarès l'attendit en faisant rouler les herbes entre ses mains, pensive. Elle semblait absente, lointaine. Elle ne revint à elle que lorsque Zarcan réapparu, un sac en cuir dans les serres, qu'il laissa tomber sur Antarès. La jeune femme l'attrapa et saisit un bol dans le sac, avec un pilon, dans lequel elle se mit à écraser les herbes avec vigueur, jusqu'à en faire une bouillie. Elle y versa trois gouttes d'eau qu'elle avait contenu dans une gourde, puis mélangea le tout, avant de le présenter au mutant.

" Tiens, ça devrait calmer ta douleur. "

Voir revenir Antarès fut un grand soulagement pour Wolf qui assista au manège des trois compères sans réagir. Il s'approcha ensuite d'elle pendant qu'elle préparait la mixture pour sa gorge. Alors qu'il l'observait, il se rendit compte qu'il ne considérait pas Elixidrine comme une proie alors qu'en cette saison pauvre, son envie de viande était très forte.

Quand la jeune femme lui tendit le bol, l'homme loup le prit doucement puis il commença à boire en lapant. La mixture était épaisse et odorante, son goût était sucré, il la laissa doucement imprégner sa gorge. Une fois qu'il eut fini, il senti que ses cordes vocales usées et fatiguées de n'avoir que trop peu servies étaient plus détendues.

L'hybride s'avança alors près de la jeune mutante puis il approcha son visage du sien et, après une seconde d'hésitation, il commença à lécher la blessure dont il fut l'auteur quelques minutes plus tôt pour la refermer. Ensuite, il s'attarda sur la grande cicatrice de son oeil et après recommença ses caresses. Mais cette fois, ces gestes étaient bien plus assurés et fluides. Il émettait les bruits typiques du canidé heureux.

Son comportement était entièrement guidé par son instinct, il n'y avait rien d'humain en lui à ce moment là, sans s'en rendre compte il envoya ses pulsions vers Antarès qui pouvait sans doute les "entendre" par l'intermédiaire de son pouvoir. Il se coucha à côté d'elle et, lové, frotta son dos contre sa jambe.

° Je voudrais pouvoir te remercier mais je ne parle pas ton langage °

Rien d'humain. Il n'y avait strictement rien d'humain dans le comportement et les gestes de Wolfgang, et elle n'eut aucun mal à le comprendre. Elle l'avait déjà compris avant même qu'elle ne ressente les pulsions de son corps, chaque battement de son coeur. Elle reconnaissait parfaitement les agissements d'un animal heureux d'avoir trouvé une bonne compagnie. Elle le laissa faire. Lorsqu'il se lova contre elle, elle comprit aisément qu'elle avait gagné la confiance du mutant.

Elle le regarda faire puis passa une main tendre dans les cheveux de Wolf, comme elle aurait emmêler ses doigts dans la crinière d'Elixidrine. Ce dernier, d'ailleurs, semblait observer la scène d'un mauvais oeil. Antarès lui lança un regard par lequel elle lui signifiat clairement qu'elle ne le laissait pas tomber pour autant, mais il était fier, et n'aimait pas vraiment que des marques d'affection qu'il avait l'habitude de recevoir soit administrées à quelqu'un d'autre que lui. Il avait eu du mal à accepter la tendresse qu'elle manifestait à Zarcan, et encore aujourd'hui, il lui arrivait de ne pas accepter qu'elle lui accorde de l'attention. Exaspérée d'un tel comportement, elle lui fit signe de s'approcher. Le cheval renâcla et ne bougea pas. Elle haussa les épaules et reporta son attention sur Wolgang.

" Je t'avais dit que je reviendrais, n'est-ce pas ? "

Elle baissa les yeux sur lui.

" Il est bien étrange que tu comprennes ce que je te dis, et que tu ne puisses pas me parler dans mon langage. Mais comme tu es là, je te comprend... Tu m'as déjà remercié en ne t'attaquant pas à Elixidrine et Zarcan. Depuis combien de temps vis-tu seul ? "

Wolf eut un grand soupir d'aise puis il se releva et s'étira longuement. Il chercha un moment comment répondre aux questions d'Antarès et il trouva enfin.

Il commença à dessiner sur le sol du bout des griffes. Il se dessina maintenant, grand et fort puis, à l'aide de vague flêches il représenta le temps puis il se dessina tout petit et faible. Abandonné à l'age de 3 ou 4 ans, il avait vécu plus de 20 ans seul dans la forêt.

Ensuite, il dessina un homme et une femme, surement ses parents, et il dessina des symboles pour représenter la parole. Puis il dessina une flêche pour montrer que les mots entraient dans son oreille et après il dessina une tête et un cou. Le visage qu'il griffonait était inexpressif et il fit une grosse croix sur la gorge de son bonhomme. Il était en train de se représenter, seul et ne parlant jamais. En effet, grogner, japer et hurler est une chose, mais parler sollicite bien plus de muscles et d'effort.

Il se lança ensuite dans un troisième dessin, une famille heureuse puis le petit garçon devient laid, il dessine de gros poils des griffes et des crocs et enfin, ses parents le jettent dans la forêt et partent en courant.

Quand l'homme loup eut fini, il se retourna et refusa obstinément de regarder ses oeuvres, il attendit simplement que la jeune femme interprête et lui parle à nouveau. Sa respiration commençait à saccader, ses yeux le brulaient, sa gorge s'assèchait de nouveau, il ne se sentait pas bien.

Antarès redressa son dos et replaça d'un geste mécanique une mèche ondulante qui était tombée devant ses yeux, afin de mieux observer chacun des dessins tracés sur le sol. Lentement, elle les observa, retraçant chaque courbe des yeux, recherchant la volonté de l'homme loup qu'elle avait en face d'elle, mais elle dû se résoudre à abandonner son instinct au profit de sa raison : l'action qu'il venait d'effectuer relevait exclusivement de sa nature humaine, et non pas de sa nature animale. En laissant son instinct examiner les dessins, elle ne trouverait pas la réponse à ses interrogations. Alors elle mit l'instinct de côté et se concentra sur sa raison et sa perspicacité.

Après cinq minutes durant lesquelles elle se mura dans un silence borné, elle se laissa tomber sur ses talons puis leva les yeux vers le ciel, observant par un trou dans le feuillage un morceau de ciel étoilé. Elle voyait l'étoile qui portait son nom.

" Tu as été abandonné par ta famille, comme la plupart d'entre nous... Tu as vécu ici depuis tout petit, si j'ai bien compris, tu as grandi seul ici. Tu n'as donc pas pu parler... Tu comprends ceux qui t'entourent mais tu ne sais pas parler, et à force d'utiliser tes cordes vocales pour autre chose que pour parler... "

Elle resta silencieuse, toujours le nez en l'air, pensive. Inconsciemment, elle se mit à jouer avec une brindille qu'elle venait de ramasser à côté d'elle.

Wolf se retourna lentement vers Antarès alors qu'elle jouait avec une brindille. Il la regarda manipuler doucement ce petit végétal, fasciné... Puis l'amertume lui revînt brutalement à la gorge, il regarda sa main, large, caleuse et abimée, terminées par ces griffes si redoutables, une main impropre à la délicatesse. Les larmes coulèrent d'elles même et l'homme loup en fut surpris car depuis bien des années il ne pleurait que quand il avait quelques chose dans l'oeil. Il était triste, peut être un peu jaloux de se simple geste qu'il ne savait faire.

C'est alors que quelques chose explosa en lui, il se leva d'un bond et hurla à gorge déployée, si fort dans les quelques oiseaux dans les frondaisons s'enfuirent terrifiés. Les muscles de l'hybride étaient tendus à la limites de la rupture, ses griffes sorties et prêtes à tuer. Son esprit était envahit par la tristesse la colère et la haine. Wolf se sentait incomplet et perdu, il ne savait plus s'il devait remercier la jeune femme de l'aider, ou la tuer pour lui avoir montré ses propres faiblesses.

Dans son esprit embrumé il se demandait pourquoi elle avait dit "nous", pourquoi un être qu'il voyait comme si supérieur à lui prenait la peine de se comparer à lui, lui l'erreur, lui le déchet ? Il ne voyait plus qu'en dégradé de rouges, ses oreilles bourdonnaient de cris d'horreur et de dégoût, réminiscence de son enfance torturée.

Maintenant Wolf surplombait Antarès, le poil gonflé, la bave écumant de ses lèvres, visiblement prêt à la déchiqueter mais il y avait aussi, au fond de ses yeux brillants de larmes, un éclat suppliant comme si toutes cette rage était en réalité dirigé contre lui même.

Il avait hurlé comme un loup hurlerait à la mort, il avait hurlé de rage, de désespoir, et dans l'esprit d'Antarès, tout cela résonnait encore. Il entendait l'animal qui était en lui se tourner contre elle, vouloir la déchirer, voire même la dévorer... Elle n'avait pourtant pas baisser le nez et continuait de contempler les étoiles comme si rien ne se passait à côté d'elle.

" SILENCE ! ", hurla-t-elle.

Maintenant, l'homme loup la surplombait, et il avait réussi à l'arracher de sa contemplation du ciel étoilé. Elle l'observa attentivement, se rendant compte à quel point il ressemblait à une bête féroce ainsi. Elle resta assise, levant la tête pour le regarder : elle sentait parfaitement bien qu'il désirait la déchirer de ses griffes et de ses crocs, elle sentait l'instinct du mutant complètement en éveil. Mais l'éclat qu'il avait au fond des yeux, la souffrance qui était enfouie sous toute cette colère, ça aussi elle le ressentait. Parce qu'il les ressentait autant en tant qu'animal qu'en tant qu'humain.

Elle se releva et épousseta doucement son jean, avant de se dresser face à Wolf. Bien qu'elle soit grande, il était plus grand qu'elle, et continuait de la dominer ; elle n'en avait cure. Antarès pencha la tête sur le côté, croisant les bras sur sa poitrine.

" Tu crois sincèrement que ça soulagera ta douleur, de me tuer comme une bête féroce ? Toi qui a vécu seul depuis ta plus tendre enfance, tu voudrais tuer la première personne qui t'ai accordé un tant soit peu d'attention ? En effet, tu es resté seul bien longtemps, pour réagir comme un animal incensé. Comment oses-tu te dresser comme ça, contre moi ? Je n'ai pas pour ambition de te blesser. J'aurais plutôt envie de t'aider, Wolfgang. Mais franchement... "

Elle secoua la tête en signe de dénégation.

" ... tu me décourages. "

Elle tourna les talons et siffla, attendant le retour d'Elixidrine et de Zarcan.

Wolf n'avait que trop bien compris la réaction d'Antarès mais même s'il la comprenait il n'était pas prêt à la laisser partir, pas maintenant. Il chercha à toute allure dans sa tête, un mot, un signe, un quelconque moyen de communiquer quelque chose de clair.

L'homme loup rattrapa La jeune femme, la pris par les épaules et la plaqua sans mal contre l'arbre dans lequel il s'étaient rencontrés. dès qu'elle fut bloquée entre l'arbre et lui, sa poigne passa de forte, à douce. Puis il posa ses lèvres sur celle de la belle mutante. On ne pouvait définitivement pas parler d'un baiser, c'était une tentative, un peu désespérée, d'imiter le seul geste d'affection dont il se souvenait : le baiser d'un parent à son enfant. Ou plutot d'un enfant à son parent, car il ne se considérait nullement comme en position de force.

Ses mains s'ouvrirent et commencèrent à glisser dans le dos d'Antarès tandis qu'il l'enlassait de ses bras puissants. Les larmes revînrent, plus grosses et plus chaudes que jamais, la haine et la colère disparurent ne laissant que la tristesse et la peur. La peur de mourrir si la solitude le frappait de nouveau, la peur d'avoir détruit quelque chose de fragile. C'est alors, sans doute aidé par la mixture qu'il avait avalé, que quelque mots sortirent.

" Pas partir Mam... Pas partir... Peur... Pas seul... "

Ces mots revenaient de 20 ans en arrière, il aurait voulu les adapter mais il n'en était pas capable.

La seule chose à laquelle Antarès ne s'était pas attendue, c'était bien de ressentir de l'affection pour quelqu'un d'autre que son frère et sa soeur.

Une douleur lancinante lui vrilla le dos lorsque Wolfgang la plaqua violemment contre le vieil arbre sur lequel elle aimait se percher. Qu'il relâche ensuite sa poigne la surprit, mais pas plus que lorsqu'il l'embrassa. Ouvrant de grands yeux, elle resta sans réaction. D'une nature peu impressionable, elle s'étonnait autant de ce qui se passait que du fait qu'elle en ressentait une profonde stupéfaction. Jamais elle n'avait été aussi surprise. Du moins, du moins, d'aussi loin que remontaient ses souvenirs.

" Pas partir Mam... Pas partir... Peur... Pas seul... "
° Pas partir Mam... °

Elle avait l'impression que la voix qui sortait de la gorge de Wolf était celle d'un enfant. Un enfant qui n'avait pas grandit comme les autres. Wolfgang était resté au stade d'enfant, le temps avait emporté son physique avec lui. Il n'a pas grandit...

Elle lui prit le visage entre ses mains, délicatement, et le força à le regarder. Derrière elle, elle entendit clairement la galopade puis l'arrêt brusque d'Elixidrine et son hennissement stupéfait. Elle le calma d'un claquement de langue, sans pour autant quitter Wolfgang des yeux, et le cheval resta tranquille, même s'il n'était pas vraiment d'accord avec cette idée.

" Tu as été abandonné par tes parents et tu as peur que je te fasses la même chose aujourd'hui. Mais tu dois comprendre que si tu veux que je reste auprès de toi, il va falloir que tu réfrennes les pulsions naturelles de l'animal féroce que tu as en toi, Wolf. Je veux bien t'aider... Mais il faut que tu fasses des efforts de ton côté. "

Elle s'étonna elle-même. Antarès n'aurait jamais cru un jour dire ce genre de chose... Son pouvoir lui montait à la tête.

Wolf déglutit bruyamment en regardant Antarès dans les yeux, les siens étaient toujours dégoulinant de larmes chaudes. Il l'écouta attentivement quand elle lui expliqua ce qu'il devait faire pour qu'elle reste. Il la lacha, ses mains vinrent se placer contre sa poitrine en s'entortillant les doigts comme un petit garçon qui vient de faire une énorme bétise puis il fit un timide oui de la tête.

L'homme loup allait se battre contre lui même et contre sa nature puisqu'il le fallait. Il était près à souffrir beaucoup en peu de temps si cela voulait dire ne plus souffrir du tout plus tard.

L'hybride fit deux pas en arrière et se remis à quatre pattes, il attendait une instruction. Mais en même temps, il brulait aussi de la reprendre dans ses bras pour peut être ne plus jamais la lacher. Pour l'instant, il se contentait de la fixer de ses grands yeux jaunes et humides.

Antarès le regarda faire et comprit rapidement qu'il attendit qu'elle lui dise quoi faire. Elle avait vraiment face à elle un enfant dans un corps d'adulte. Le seul ennui, c'est qu'elle ne savait pas vraiment s'y prendre.

Elle s'avança et s'accroupit devant lui.

" Il faut que tu comprenne une chose : tu es un mutant qui a deux côtés, un humain, et l'autre que tu as développé en vivant dans la nature grâce à une déformation de ton corps. Mais à ce que j'ai pu remarquer, tu as également une force surhumaine... Je ne vais pas te demander de renier entièrement ton côté aujourd'hui naturel, c'est-à-dire celui de bête, mais je vais tenter de faire de toi un mutant qui saura se servir de ses pouvoirs et de sa déformation. La première chose à faire, c'est faire ressortir le côté humain qui dors en toi. Tu comprend ce que j'entend par là ? Tu es encore un enfant, ton éducation entière est à faire... Tes parents sont des monstres pour t'avoir rejeté dès ton plus jeune âge. "

Ses propres souvenirs se mélêrent à sa vision réaliste des choses. La colère monta en elle et son regard se fit dur, glacial. Son aura devint agressive ; Elixidrine recula en baissant l'encolure de crainte, tandis que Zarcan poussait un cri plaintif.

" Les hommes sont tous des monstres " grogna-t-elle plus pour elle même que pour Wolfgang, les dents serrées, le regard dérivant.

Wolf écouta attentivement mais il avait le plus grand mal à comprendre, pour lui, il n'était évidement que lui, sa nature double était un concept qui lui échappait complètement, beaucoup trop abstrait pour son esprit simple. Quand au jugement d'Antarès sur les hommes... Lui se sentait comme le monstre rejeté et jamais il n'aurait cru être des rangs des normaux.

Quand elle se laissa envahir par la colère, une colère visiblement pas dirigée contre l'homme loup, ni contre personne en particulier, il vit qu'elle ressentait le même mal être, la même douleur que lui. Alors, désireux de chasser au loin ses mauvaises pensées, il se redressa pour venir la prendre dans ses bras. Il la souleva facilement, avec une relative délicatesse et il s'élança à travers les bois en faisant signe au cheval et à l'aigle de le suivre. Bien vite ils arrivèrent au pied d'un petite chute d'eau entourée d'une clairière avec une grotte juste à côté de la cascade. C'était le coeur de territoire de Wolf, sa tanière.

L'hybride s'arrêta au bord de la rivière et déposa la jeune femme à côté de lui. Il lui caressa le visage du revers de la main pour être sûr de ne pas la blesser. Il nageait toujours pour se détendre, il proposa donc à Antarès de venir nager avec lui pour laisser l'eau la purifier de sa colère, ses traits étaient doux, les larmes ne coulaient plus, il voulait juste l'aider comme elle venait de le faire pour lui.

Antarès regarda autour d'elle, curieuse de voir dans quel endroit habitait son compagnon mutant. Ce n'était pas un endroit désagréable. Même si elle se sentait bien dans toute cette forêt, elle trouvait l'endroit fort agréable, le clapotis régulier et apaisant de l'eau comme seul trouble du silence. Elle ferma les yeux et se laissa envahir par la tranquillité de l'endroit, désireuse de chasser de ses pensées les hommes qu'elle détestait tant. D'ailleurs, en repensant à la vague de colère qu'elle avait ressentie, Antarès fut surprise de constater qu'elle n'avait pas déclencher le moindre petit séisme.

Antarès s'approcha de la rivière et, alors que Wolfgang était déjà en train de s'y baigner, elle s'assit sur la berge, retira ses talons et ses chaussettes, qu'elle posa à côté d'elle, puis remonta légèrement les bas de son jean et plongea les pieds dans l'eau. LA fraîcheur de la source la fit frissoner. Naturellement, Elixidrine s'approcha d'elle et se coucha juste derrière elle ; Antarès se cala confortablement contre le flanc de l'animal, qui tourna la tête vers elle. Antarès tendit la main et l'animal y posa son nez doucement, en ronflant de plaisir.

" C'est un bien agréable endroit ", dit-elle sans destinataire particulier.